“l’abbé de Polignac, lauréat…”


La ville de Condom à l’honneur dans les salons de l’Elysée

Dans la compétition acharnée que se livraient l’évêque de Condom et l’abbé Dorlan de Polignac, ce dernier eût goûté avec délice cette décision du Chef de l’Etat de consacrer 250 ans après la beauté de l’hôtel particulier qu’il fit édifier entre 1773 et 1778 sur les remparts de la ville gasconne !

Un monument splendide qui dominait l’immense parc encore existant (si heureusement propriétaire de la Ville) vers le cours de La Gèle, alors que côté “champs”, sa façade altière —presque démesurée— surplombait au loin les rives de la Baïse.

La colonnade et les grilles en fer forgé sont le dernier témoin de l’embellissement de cet hôtel particulier qui ruina son constructeur après qu’il y ait fait établir de splendides parterres “à la française” disparus aujourd’hui.

La vengeance de ses détracteurs n’en fut que plus cruelle : une maison bourgeoise fut construite entre la colonnade qui ferme la cour et le grand parc… effaçant la possibilité de recouvrer cette perspective pourtant indissociable de son architecture.

Condom n’est pas le lieu unique où l’ignorance insigne a condamné la beauté d’un ensemble monumental en polluant le site dans lequel il s’inscrit. Ferrières en a subi bien plus récemment deux atteintes tellement regrettables, si absurdes puisqu’elles auraient pu être évitées. La préservation pour les futures générations de l’écrin où s’élèvent ces trésors qui forment notre patrimoine n’est pas encore d’actualité. Surtout lorsque les ignorants n’écoutent pas les observations de ceux qui en ont la compétence.

Aujourd’hui, l’hôtel de Polignac abrite une école primaire : cent cinquante élèves emplissent les salons et la cour de leurs cris enjoués. Des enfants qui dévalent le grand escalier d’honneur dont l’élégance fut choisie pour magnifier l’allure des ecclésiastiques et personnes de haut rang sous l’Ancien Régime.

Un brin d’histoire

Comment se fait-il que l’héritier d’une famille peu fortunée et de petite noblesse provinciale (les Dorlan de Pouy-Petit par son père et Pouymirol par sa mère), ait pu se doter d’un pouvoir tel qu’il nargue, à quelques pas de son vieux palais, l’évêque de Condom dont le revenu était loin d’être négligeable ? (l’évêché de Condom, doté de solides revenus, était convoité par les plus grands… dont Bossuet qui n’y demeura que deux ans préférant tout de même Meaux bien plus proche de la Cour)

Il faut remonter en 1760 : Louis-Joseph de Montmorency-Laval, alors évêque de Condom depuis 1758, se voit attribuer le siège épiscopal de Metz. Il appelle auprès de lui l’abbé du prieuré de Layrac, Jean-Marie Dorlan de Polignac, et le nomme vicaire général de son diocèse en 1768.

Une telle promotion permet au jeune ecclésiastique de s’installer à Condom lorsqu’il rentre au pays. Par évidence, il a les moyens et choisit un site stratégique à quelques encablures du palais épiscopal.

Car le nouvel évêque de Condom (qui en sera d’ailleurs le dernier, la Révolution entraînant la restructuration des diocèses), Alexandre César d’Anterroches recherche désespérément depuis 1763, date de son élection, un vicaire général lui permettant de gérer convenablement son diocèse. La convoitise affichée de l’abbé Dorlan de Polignac lui déplaira certainement puisque le prélat s’adjoindra dans cette tâche un prêtre d’Auch, Jean-Paul Faudoas, le pire concurrent de l’abbé prétentieux… Ainsi, alors que l’abbé de Layrac sombrera sous le poids de ses dettes, l’abbé Faudoas poursuivra sa brillante carrière jusqu’à évêque de Meaux !

Mais l’Histoire n’aime pas les conclusions hâtives : au début du XXIe siècle, les moyens modernes de communications et l’organisme en charge des jeux de hasard (mais oui !) viennent chacun dans son rôle redorer l’œuvre de l’abbé malchanceux. Appuyant les efforts de la Ville de Condom, l’hôtel de Polignac a été désigné le 6 juin dernier comme le monument emblématique de la région Occitanie par la “mission Bern”.

La dotation de quelques huit cent mille euros qui en découle permettra de restaurer la grande façade occidentale et donc de rendre son lustre à l’édifice.

L’abbé de Dorlan de Polignac retrouve le rang qu’il avait toujours espéré !

Description

Classé monument historique depuis 1990, l’Hôtel de Polignac est une magnifique construction édifiée entre 1773 et 1777. Du fait de son importance passée, la ville de Condom renferme de nombreux hôtels particuliers qui présentent dans l’espace de cette cité toute l’évolution de ce type d’habitat urbain.

L’abbé Dorlan de Polignac doit demander à la municipalité de l’époque, l’autorisation de bâtir l’Hôtel de Polignac sur d’anciennes ruines. Le maître d’oeuvre a réalisé un ouvrage qui marque fortement le paysage urbain et dont l’échelle s’intègre complètement à la ville et à sa situation géographique. L’édifice a été construit à cheval sur l’enceinte médiévale de Condom, ce qui explique la différence de niveau entre la cour d’honneur et le jardin situé 12 mètres plus bas.

L’hôtel de Polignac comporte des détails architecturaux qui manifestent l’émergence du style néo-classique. L’hôtel est bâti sur un plan “entre cour et jardin”, l’entrée se fait côté rue, par une cour fermée d’un portique dorique et de grilles en fer forgé. La façade sur la cour est très élégante, avec ses grandes baies cintrées du rez-de-chaussée, l’avant-corps central nettement marqué par des colonnes ioniques cannelées soutient un balcon à fer forgé puis un grand fronton triangulaire. Côté sud, la cour de récréation bétonnée a remplacé le grand jardin intérieur suspendu au-dessus de la ligne des remparts. La façade ouest comporte deux niveaux très symétriques avec un étage percé de grandes baies rectangulaires et un rez-de-chaussée aux grandes portes fenêtres cintrées ouvrant sur une coursive limitée par un garde-corps à balustres.

Utilisant un beau calcaire blond taillé en grand appareil pour les chainages d’angles, les pilastres, les colonnes ou les corniches, la construction est particulièrement soignée et témoigne du désir de son propriétaire d’éblouir la ville et ses visiteurs. A l’intérieur, deux salles sont encore décorées de gypseries et le grand escalier intact a conservé sa belle rampe en ferronnerie.

La confiscation des biens du Clergé prive l’abbé Dorlan de Polignac de ses énormes revenus. Il garde l’hôtel jusqu’à sa mort en 1792. Mais en pleine tourmente révolutionnaire, ses héritiers sont obligés de le céder à deux marchands condomois enrichis qui le cèderont à la Ville pour y loger dès 1882 une école élémentaire publique.

Pour en savoir plus : voir l’article de la Fondation du Patrimoine.

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