Un nettoyage de sculptures trop zélé


Tradition familiale en “sepia” : des sculptures Renaissance victimes d’un karcher d’époque

À Ferrières, l’accueil des personnes qui nous font l’honneur de leur visite a toujours compté parmi nos priorités tant il est vrai qu’un tel patrimoine mérite d’être accessible. Certes, l’époque contemporaine ne permet plus l’ouverture gracieuse et constante que nous avons pratiquée durant des décennies. Aujourd’hui —c’est bien compréhensible—, la gestion d’un monument ouvert au public répond aux exigences d’une véritable entreprise et de ses stratégies de promotion : préoccupation très actuelle pour cet édifice qui va de pair avec les programmes que nous engageons pour sa conservation et sa mise en valeur.

Le plaisir d’accueillir des visiteurs s’enrichit toujours de moments d’échanges sur des sujets si divers que suscite l’Histoire, de partages de connaissances et d’avis souvent appréciables, de conversations spontanées, ce qui nous amène à accepter volontiers d’ouvrir notre maison à ceux que la curiosité conduit à frapper à notre porte.

Des considérations qui invitent à regarder notre époque avec le prisme des précédentes ; y transparaissent une manière de recul sur la vie de nos sociétés contemporaines et la permanence de certains agissements qui ne cessent de surprendre. Alors surgit dans le discours sur les décorations Renaissance et la généalogie des familles résidantes quelques anecdotes savoureuses.

Un plaisir que ne se refusait pas notre grand’mère, surnommée affectueusement Maya par ses proches et les habitants du village probablement eu égard à sa personnalité et son attention au bien commun. Ses visites guidées débutaient dans la cour d’honneur du château pour ne progresser que très, très lentement… aussi usait-elle de toute son imagination pour détendre son public et le tenir en haleine.

Pour ce faire, un détail des sculptures de la porte d’honneur avait sa prédilection. Sur le linteau en granit de cette “fausse” entrée ne subsiste qu’un très faible relief, amplement érodé, dans lequel on distingue entre des triglyphes une succession de rosaces et bucranes alternés. Les visiteurs tendent leur cou, étirent leurs regards, ajustent leurs lunettes pour essayer d’en reconnaître les détails… en vain. C’est alors le moment choisi pour donner cette explication aussi inconcevable que saugrenue qui avait pour conséquences immanquables des débats passionnés.

Au début du siècle (le XXe !), une compagnie de pompiers prestement arrivée de la bourgade voisine de Brassac avait pour ordre d’essayer un matériel tout nouveau, amplement performant, sur une cible pouvant répondre à ses capacités. Le château de Ferrières —exigeant par sa monumentalité la meilleure efficacité qui soit des pompes à incendie en cas de sinistre— était tout désigné. Un exercice purement virtuel, heureusement, puisque le commandement de ces hommes eut la bonne idée de ne pas aller jusqu’à déclencher un feu !

 

 

La démonstration se limita donc au rez-de-chaussée afin de tester, non pas la hauteur à atteindre par l’eau jaillissant du réservoir roulant, mais la puissance du jet sur la pérennité des décors qui résistaient si bien aux caprices du climat depuis des siècles… Sauf que l’expérience tourna court. Non pas que le granit ne résista guère, fondant comme sable sous la pression de la déferlante ! Mais parce que notre aïeul averti par les cris de victoire de la gent en uniforme se précipita pour faire cesser l’effroyable forfait ! Elie Cébe —que vénérait l’historien de Castres Raymond Nauzières pour ses efforts à conserver cet énorme bâtiment mémorable—, usa de mots impossibles à transcrire ici devant l’ignorance (disons-nous en terme choisi) qui avait décidé de cet acte innommable !

Aujourd’hui encore, la pierre sur cette porte pleure le souvenir de ses reliefs si admirables, perdus à jamais, qu’observent mélancoliques les autres figurations sculptées sur les parties voisines…

De cette affaire, le hasard vient de nous offrir une image actualisant notre savoir. Non pas grâce à une caméra de surveillance mais par un moyen équivalent puisque la date exacte nous en est révélée : une simple carte postale en sépia. Les protagonistes de la scène de crime à l’encontre de l’œuvre d’art y figurent peut-être mais leur anonymat est préservé. Ils n’étaient jamais que les artisans d’une attitude trop souvent constatée encore à Ferrières comme ailleurs… qui nous laisse songeur devant notre solitude à maintenir ce patrimoine dans le silence studieux tandis que, malgré discours et programmes de sensibilisation, les coups de butoirs incultes sapent toujours la pérennité de cet héritage.

O.C.

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