…le 29 septembre 1567,
Guillaume de Guilhot, seigneur de Ferrières, prenait la Ville de Castres dont il devint le Gouverneur.
L’histoire d’une ville mêle les sources d’archives —éclairées par les commentaires des chercheurs— au ressenti qu’en conserve la mémoire populaire. Du moins lorsque la tradition orale alimentait encore les conversations des veillées ou des rencontres à l’angle de deux rues.
Cet événement dont on commémore quatre siècles et demi d’existence, appartient certainement aux faits les plus notables des guerres de religion en Languedoc non pas tellement par son importance somme toute relative, mais plutôt en ce qu’il est resté inscrit très fortement dans la fresque légendaire de cette époque troublée. Constat que l’historien ne doit pas prendre à la légère : la portée symbolique de cette “prise de Castres” telle qu’en atteste sa longévité sur plusieurs siècles (des visiteurs à Ferrières saluent la mémoire de ce personnage en le citant encore de nos jours), témoigne de sa capacité à offrir une synthèse de la période qui lui donna naissance.
Le mérite en revient à l’apostrophe lancée par le chef des huguenots à l’évêque alors qu’il fit irruption dans sa chambre en pleine nuit :
Tal cuja guilhar Guilhot que Guilhot lo guilha.
Phrase célèbre (Guilhot étant un prénom souvent choisi pour désigner quelque héros de contes et comptines) ainsi expliquée par le chroniqueur protestant Jacques Gâches en ses Mémoires :
…il usa de ces termes parce qu’il s’appelait Guilhot et que c’était un proverbe du pays lorsque celuy qui voulait surprendre estoit surpris.
Le sens pourrait se rapprocher du “tel est pris qui croyait prendre”. Cependant, le verbe occitan “guilhar” est porteur de la qualité de tromperie, de malice “aiguisée” puisque la racine “guilha” évoque l’aiguille… et donc son chas, judas tellement réduit qu’il appelle une grande sagacité du regard !
L’ami savant du XVIIe siècle, Pierre Borel, nous en donne une définition en son Trésor de recherches et Antiquitez Gauloises et Françoises (Paris 1655) :
Guiller, c. tromper (…) De là vient un proverbe d’Albigeois : Tal penso guilla Guillot, que Guillot lou guille. C’est à dire : Tel pense tromper Guillot, que Guillot le trompe. Ce qui vient de M. Guillot de Ferrieres, Seigneur de ce païs-là.
La traduction la plus expressive en langage français moderne en serait : “Celui qui veut s’en prendre à Guilhot, Guilhot sait où le trouver” !
Interprétation que souligne l’origine de cette apostrophe tout comme elle éclaire sa capacité à résumer en si peu de mots cette époque bouleversée. La raison de cette « surprise » de la Ville ce soir-là vient en effet de ce que des “fuites” de l’entourage de Mgr d’Oraison avaient alerté Guillaume de Guilhot d’une attaque probable de sa maison de Ferrières prévue le lendemain par les troupes de l’évêque de Castres. Le château étant vulnérable (pour éviter tout danger, il fallait stopper l’attaque des assaillants avant qu’ils ne franchissent la rivière Agoût, en amont, sur le gué du “chemin militaire”), la décision de prendre Castres devenait impérative pour le parti protestant.
Mémoires de Jacques Gâches sur les guerres de religion à Castres et dans le Languedoc, publiées par Charles Pradel (Paris 1870) :
Le 29 septembre, les dits sieurs de Ferrières et de Montlédier (…) entrèrent la nuit avec les forces qu’ils menoient, et, s’estant joints avec les habitans, se rendirent à la place. Là, ensemblement, ils firent leur ordre, ayant divisé tout ce gros d’habitans et estrangers sous divers capitaines qu’ils avoient là, d’où chacun s’en alla saisir de son quartier assigné.
Les sieurs de La Garrigue et de Fiac (…) envoyèrent demander les clefs des portes et de l’hostel de ville au premier consul La Roche qui fut contraint de les bailler. Les sieurs de Ferrières et de Montlédier, avec le capitaine Franc, s’en allèrent tout droit à l’évesché, où l’évesque d’Oraison estoit arrivé le soir auparavant pour devancer ceux de la Religion en la saisie de la ville, suivant les advis.
Ayant frappé rudement la porte, le dit sieur évesque leur fit ouvrir, et, estant venus le trouver à son lit, le dit sieur de Ferrières luy dict : “Boun joun, moussu, se bous nous faussets bengut, non bous serien pas anats querre. Tal cujo guilla Guilhot que Guilhot lou guillo . Vous estes nostre prisonnier”.
Il usa de ces termes parce qu’il s’appeloit Guilhot et que c’estoit un proverbe du pays lorsque celuy qui vouloit surprendre estoit surpris.
L’évesque ne s’en pouvant dédire, pria qu’on ne luy fist point de mal, ny à son clergé, ce qui luy fut protesté, et qu’on ne vouloit que s’assurer d’eux, comme on fît fort civilement, et des religieux el autres ecclésiastiques et catholiques habitans qu’on arresta pour les (é)changer avec ceux de leur party.
(…)
et ainsy fut saisie la ville de Castres, sans bruit ny désordre.
(…)
Ceux de Castres, s’estant saisis de leur ville en la manière sus dicte, s’assemblèrent le lendemain à l’hostel de ville, et y eslurent pour gouverneur le sieur de Ferrières qui l’avoit (déjà) esté aux précédens troubles.
Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France, avec des notes historiques et géographiques, par Charles de Baschi, marquis d’Aubais (Paris, 1759) :
Le 29 Septembre au soir, les protestants de Castres se redirent maîtres de leur vielle et choisirent pour gouverneur Guillaume de Guillot, Seigneur de Ferrières. Ils arrêtèrent prisonnier l’évêque Claude d’Oraison et lui firent payer rançon.
Journal de Faurin sur les Guerres de Castres, publié par Charles Pradel (Montpellier, 1878) :
Le 29 du mois de septembre, soir de Sainct Michel, ceux de la religion réformée se sont saisis de la ville de Castres pour dedans icelle tenir bon contre les ennemis à cause que les papistes avaient obtenu du roy que tous les ministres vuideroient la France dans 15 jours, ensemble tous ceux de la religion réformée dans trois mois si on ne vouloit retourner à la messe. A quoy on a aymé mieux mourir que d’y retourner ; ensemble, ce soir mesme, toutes les principales villes de la France se sont mises en ce mesme devoir ; car l’intention des papistes tendoit à deux fins : de bailler la France au Roy d’Espagne et d’exterminer tous ceux de la religion.
On n’a point dites aucunes messes dans Castres despuis ce soir, et on a commencé de fortifier de rechief la ville de boulevards, de murailles et bondes, et faire beaucoup d’artillerie.
M. de Ferrières, Guillaume de Guilhot, a esté gouverneur de Castres. Aussi le mandement de M. le prince de Condé, Louis de Bourbon, ceux de la religion ont pris les armes, comme ce soir de St-Michel nous nous saisimes de la ville. On ne tua personne et n’y eut aucun tumulte et l’évesque de Castres, Claude d’Oraison, se trouva dedans, ensemble le doyen de Burlats et autres de la marque, ensemble tous les chanoines, prestres, jacobins, cordeliers, trinitaires, tous furent pris et constitués prisonniers sans qu’aucun d’eux ne fut meurtry. Ils furent mis à rançon à seule fin de payer les soldats, et despuis on les a tous laissés sortir de la d(ite). ville de Castres.
Dans son “Discours de la fondation du couvent de St François de Castres”, Alexandre Doumayron, gardien dudit Couvent, confirme que “les religieux furent traités fort doulcement”. D’autres sources précisent que leur lieu de refuge fut Lautrec qui devint ainsi la place forte du parti catholique et le resta si longtemps que, en août 1585, Henri de Navarre —futur Henri IV de France— dut choisir de séjourner à Saint-Paul Cap-de-Joux plutôt que dans la ville de Castres, afin d’éviter les embuscades annoncées sur sa route entre Lautrec et de Soual.
La période des guerres de religion plongea le royaume de France dans des troubles permanents alignant coups de mains sur des châteaux, couvents et villes qui faisaient de nombreuses victimes, provoquant le saccage des cultures, interdisant la circulation des denrées, sans oublier évidemment les assassinats et exactions souvent atroces destinés à financer les mouvements militaires.
Ces évènements relevaient en grande partie de stratégies visant à faire plier le parti adverse avec, pour toile de fond, la menace brandie d’une soumission du Royaume par un pays voisin enclin à profiter de ces incertitudes politiques.
Dans ce contexte, le gouvernement d’une ville apparaissait comme un enracinement essentiel du parti qui le contrôlait et justifiait donc les efforts à accomplir pour s’en rendre maître dont, notamment, des campagnes militaires très organisées.
Ainsi s’explique la référence que fait Faurin du “mandement du prince de Condé, Louis de Bourbon” qui préside à la prise de Castres en septembre 1567 puisqu’elle s’inscrit donc dans les journées qui auraient dû consacrer le pouvoir du parti réformé si le “coup d’état de Meaux” n’avait tourné court.
En effet, la veille 28 septembre, invoquant un risque d’enlèvement du roi de France par les italiens, Louis de Bourbon-Condé —prince du sang puisque descendant de Louis IX et à ce titre apte à succéder à la Couronne de France en cas d’extinction de la famille royale—, investit le château de Montceaux près de Meaux afin de mettre en sécurité Charles IX et la Reine-mère, Catherine de Médicis. Ces derniers parviennent à s’échapper de justesse et ce « coup d’état » manqué est à l’origine de la seconde vague de guerre civile qui ne s’apaisera qu’après la Paix de Longjumeau, signée entre les partis en mars 1568.
Castres était, en importance, la seconde ville du Languedoc (aux plans de l’économie et de la démographie) et donc une place stratégique servie remarquablement par la géographie (cf. notre Henri de Navarre impose Henri IV, éditions de Poliphile, 1985). Des qualités qui justifièrent l’implantation à Castres et dans ses environs de puissantes familles.
Dans le parti réformé, Guillaume de Guilhot était l’aîné de leurs représentants engagés et son autorité n’étaient pas contestée. Lorsqu’il fut désigné au poste de gouverneur de Castres en 1567 (il l’avait été déjà en 1562), le sénéchal de la ville et du Comté nommé par le Roi n’était autre que son beau-père, Pierre du Bourg du Mayne, charge qui fut ensuite assurée par son gendre Michel de Bayard puis son petit-fils Pierre de Bayard.
En outre, alors que les deux partis rivalisent d’atroces assassinats dans tout le Royaume y compris en Languedoc, il prend Castres en 1567 sans verser une goutte de sang. De même, le 4 octobre 1567, alors qu’il se rend maître de la chartreuse de Saïx (qui sert de dépôt d’armes contrairement à l’accord qu’il avait passé avec le prieur), il pille et démolit l’édifice, certes, mais veille à faire embarquer la totalité des chartreux dans des barques afin qu’ils puissent sains et saufs aller se réfugier à Escoussens.
Ces qualités furent saluées à sa mort, en 1575 (in Jacques Gâches, Mémoires) :
fort regretté des habitants pour avoir perdu un fort bon voisin, lequel, en temps de paix et de guerre, tenoit toujours l’œil à la conservation de la ville ; personnage nullement ambitieux et fort homme de bien (…) il mourut de la pierre, en bonne vieillesse, et fut ensevely avec tous les honneurs qui luy étoient dus, laissant à la postérité une heureuse mémoire de sa vie.
Des qualités qui rejaillirent sur sa famille et ses descendants dont l’attachement au bon gouvernement des affaires publiques fut longtemps reconnu.
La maison de Ferrières en retira sa notoriété et sa splendeur, foyer d’une certaine rigueur et de cette humanité qui s’y respire encore de nos jours.
O.C.
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