Gardienne depuis 460 ans, sa silhouette paraissait inébranlable au cœur de son vallon
La tour du Causse et les murs qui l’accompagnent comptent parmi les témoins de la magnificence de la Montagne dans la deuxième moitié du XVIe siècle. Le parti réformé y trouva plusieurs leaders courageux sinon téméraires qui participèrent activement à la stabilisation de leur parti dans le sud Albigeois. Propriétaires de fiefs répartis entre Dadou et Thoré, ils disposaient de petits groupes d’hommes armés, habitués aux coups de mains afin d’envahir et démanteler telle maison du parti adverse. Confortant ainsi leur position dominante, les protestants réussirent à établir un véritable gouvernement autour de Castres qui valut à cette ville, dans le siècle suivant, lustre puis décadence tant au plan politique qu’intellectuel.
Les montagnes du Haut-Languedoc connurent alors une période faste. Retranchées dans un relief escarpé, les maisons de ces seigneurs locaux échappèrent pour la plupart aux destructions consécutives à des sièges successifs, aussi rapides que redoutables puisque menés par de fortes personnalités qui se connaissaient bien et se rendaient coup pour coup avec une féroce brutalité. Enrichis par des faits de guerre ou des alliances judicieuses (au plan social comme politique), ces notables firent édifier châteaux, maisons fortes et “maisons aux champs“ dont l’architecture et la décoration auraient mérité un autre sort que celui qui leur fut généralement réservé aux siècles suivants.
Sauf à de rares exceptions, la Révocation de l’Edit de Nantes fut fatale à ces familles, exilées ou ruinées. Leurs maisons furent abandonnées, insérées dans de nouveaux bâtiments à fins d’exploitations agricoles dans les hameaux (Arifat, Prades) ou bien partagées dans les bourgs entre plusieurs occupants (Sénégats, Lacaze, Gijounet). Les édifices imposants, plus difficiles à démolir, subsisteront au moins partiellement jusqu’à nos jours. Cependant, les bouleversements que connut —et connait encore— la société rurale de ces montagnes ont raison d’une grande partie de ces vestiges : leur usage même sommaire est abandonné comme leur entretien immédiat, autrefois assuré par les habitants eux-mêmes. Leur disparition semble inéluctable.
Ainsi, le château du Causse sur lequel je m’attarde aujourd’hui, conçu et aménagé par Bertrand de Rozet, seigneur du lieu.
Vigie depuis quatre siècles, la stature élancée de la tour, à l’angle de la terrasse et de l’immense jardin adjacent qu’elle domine, dénote une architecture soignée. Le plan général est délimité par les murets joignant la tour à la salle forte (ce qui en subsiste) et, d’autre part, à la ferme où réside la famille qui m’a toujours reçu si aimablement.
Les pierres moussues et les éléments de crépis mordorés s’accordaient à donner bien du charme à l’ensemble de ces vestiges sur fond de prairies verdoyantes. Rien n’en troublait l’harmonie.
Dans le silence de l’hiver 2019-2020, la tour s’est effondrée sans que personne ne s’en émut, suivant en cela l’Histoire et les historiens, muets sur son existence.
Ainsi, s’efface le témoin d’une construction dont les rapprochements avec Ferrières sont évidents, autant pour ce qui est de la conception et l’utilisation du site qu’en ce qui concerne son architecture. Deux édifices contemporains dont la parenté resta aussi discrète que le fut l’accession de leurs concepteurs aux critères de “l’art de bien bâtir“ d’une telle qualité.
Au jour de sa disparition, la tour du Causse méritait bien un hommage de notre part, à Ferrières, à l’heure où notre maison semble accéder à une nouvelle phase de réhabilitation. Un hommage aussi dû à cette complicité d’hommes courageux et intellectuellement remarquables auquel appartenaient les Rozet et les Guilhot-Bayard qui nous ont permis de bénéficier d’un tel héritage.
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