Rien de tel qu’un évènement planétaire pour réveiller les consciences et simultanément déchaîner les craintes. Alors, que dire lorsque le “signe“ traverse nos nuits…
Certes, Pierre Bayle tente de nous persuader que les présages sont des “ouvrages de l’esprit humain et non des institutions de la providence“, mais à l’apparition d’une comète, il est impossible de nier que ce n’est pas de bon augure …
Précurseurs en matières philosophiques
On y entrait par une petite porte s’ouvrant au rez-de-chaussée de la maison de la demoiselle de Picot, au centre ville. Dans la salle oblongue, vaste, le mobilier se résumait à quelques sièges disposés autour d’une grande table et des chaises supplémentaires alignées contre les parois : l’an 1648 fut establie dans Castres une Académie illustre, composée de 20 personnes d’érudition, où on discourt à fonds, tous les Jeudis, des matières Philosophiques, & où on porte des discours très curieux, ce qui n’apporte pas peu de lustre & d’utilité à cette Ville. (Pierre Borel, Les Antiquitez de la Ville et Comté de Castres d’Albigeois, 1649).
L’honorable compagnie rehaussait parfaitement la qualité de “l’honneste homme“, à l’honneur en ce demi-siècle du classicisme français, moment rare de culture s’il n’avait été entaché par l’intolérance.
Le 31 décembre 1652, Raymond Gaches ouvrit donc l’ordre du jour avec la question soulevée au cours de la séance précédente par Monsieur de Rapin, avocat : “Comment et en quel lieu se forment les comètes“.
Le “Docteur en Médecine“ Pierre Borel —passionné d’astronomie, entre autre discipline— demanda à y assister afin de présenter le résultat de ses observations d’une comète, entre les 11 et 25 décembre.
Nous ne disposons d’aucun compte-rendu de la discussion qui s’en suivi. Gageons cependant qu’elle porta sur deux sujets : l’examen de ces récentes observations au regard des dernières connaissances en matière d’astronomie (desquelles Pierre Borel était un connaisseur avisé) et, par ailleurs, l’évocation des bouleversements qui pourraient subvenir dans le pays si l’on en croit la Vox populi : un tel signe dans le ciel ne pouvait qu’annoncer les pires catastrophes !
Pareil débat, trente ans après, n’avait rien perdu de son intensité, lorsque, en décembre 1680, apparut dans le ciel du Vieux Continent une nouvelle comète ; mais cette fois annoncée, ce qui apporta du crédit aux astronomes et mathématiciens. Les partisans d’une manifestation divine n‘en furent pas pour autant affectés et, à l’approche de l’inéluctable Révocation de l’Edit de Nantes, les théologiens s’en mêlèrent, provoquant des bavardages inaudibles. S’en suivit une vaine compétition entre homélies des uns et sermons des autres.
Éveilleur des consciences
Passionné par les sciences et leurs enseignements, lassé par les propos affligeants de ses contemporains, Pierre Bayle publia en 1683 “Pensées diverses écrites à l’occasion de la Comète qui parut au mois de décembre 1680“ où il destine en exergue cette harangue à son correspondant virtuel, Docteur de Sorbonne :
C’est ce qui fait que je ne puis pas comprendre comment un aussi grand Docteur que vous qui —pour avoir seulement prédit au vrai le retour de notre Comète—, devrait être convaincu que ce sont des corps sujets aux lois ordinaires de la nature et non pas des prodiges qui ne suivent aucune règle (…).
(…) Si vous étiez Prédicateur, je vous le pardonnerais, parce que ces sortes de pensées —naturellement fort propres à être revêtues des plus pompeux et plus pathétiques ornements de l’éloquence—, font beaucoup plus d’honneur à celui qui les débite et beaucoup plus d’impression sur la conscience des Auditeurs que cent autres propositions prouvées démonstrativement.
Pierre Bayle se saisit ainsi de l’évènement pour réveiller la conscience de ses lecteurs face aux effets néfastes de propos sans fondements qui, courant les couloirs en se nourrissant de la crédulité des êtres, deviennent certitudes sans jamais avoir été étayés sérieusement. Il ne se prive pas de désigner leurs auteurs dont “l’envie de paraître savants, jusques dans les choses qui ne sont pas de leur métier, leur fait aussi faire quelquefois des digressions très mal entendues“.
Et, non sans humour, de poursuivre au cas où d’autres doctes acteurs de la société ne se seraient pas sentis concernés :
“Les témoignages des Historiens se réduisent à prouver uniquement qu’il apparut des Comètes et qu’ensuite il y a bien eu des désordres dans le monde ; ce qui est bien éloigné de prouver que l’une de ces deux choses est la cause ou le pronostic de l’autre.
À moins qu’on ne veuille qu’il soit permis à une femme qui ne met jamais la tête à sa fenêtre, à la rue Saint-Honoré, sans voir passer des Carrosses, de s’imaginer qu’elle est la cause pourquoi ces Carrosses passent, ou du moins qu’elle doit être un présage à tout le quartier, en se montrant à sa fenêtre, qu’il passera bientôt des Carrosses“.
Rien ne change sous le soleil… si ne survient la comète
Ainsi, non contentes de surprendre les foules par leur apparition saugrenue et flamboyante dans le ciel nocturne, les comètes réussissent-elles à raviver le dilemme insoluble entre une explication rationnelle et l’attrait du merveilleux, ce dernier assorti de la crainte qu’il soulève.
Le début de l’année 2020 est déjà gravé dans le marbre de l’histoire des hommes, mêlant au sens du tragique celui de l’inconcevable. Dans le déroulement de ces évènements chacun est acteur mais, tout autant, spectateur !
Or, la date du 11 mai 2020 scelle dans notre pays une phase qui, même timide, se veut annonciatrice d’une possible récupération de l’énergie étouffée, hagarde…
Une récupération lente, posée, pour respirer à nouveau le sens de la vie en commun partage. Sous réserve que la prise de conscience appelée de ses vœux par Pierre Bayle contribue à l’émergence d’une société lavée de ses peurs. Car le danger est celui-là que souligne Daniel Vidal cité par Philippe Garcelon :
“Il n’est point de signe naturel de Dieu, écrit Bayle : les présages (…) instrumentalisés par les pouvoirs politiques, (…) appropriés par les peuples, légitiment les contestations des puissances. Dans les deux cas, il y a risque d’ébranlement de la paix civile et de l’ordre public“.
Nous pouvons alors mieux comprendre que, en 1680, l’apparition de la comète ait suscité l’appel d’un lanceur d’alerte…
Il y a 340 années… seulement ?
Raison et déraison : toujours.
Car, à nouveau : Au secours ! La comète revient !
“À compter du 11 mai 2020, en Europe, la comète C/2020 F8 (SWAN) devrait être relativement facile à repérer aux jumelles et à photographier. Il faudra la chercher à l’aube, une heure et demie avant le lever du Soleil, au-dessus d’un horizon nord-est dégagé. Après le 20 mai, elle sera toujours présente à l’aube dans la constellation de Persée, mais elle grimpera également dans le ciel du soir et il faudra tenter de la repérer une heure et demie après le coucher du Soleil, vers l’ouest-nord-ouest. Début juin, elle croisera à 1° l’étoile Capella du Cocher. Bien évidemment, plus l’horizon sera limpide et dépourvu de pollution lumineuse meilleures seront vos chances de repérer cet astre chevelu, donc éloignez-vous des villes et prenez de l’altitude !“ (Journal Le Monde, 4 mai 2020)
Conclusion (temporaire, évidemment)
“Il y a une loi éternelle et immuable qui oblige l’homme, à peine du plus grand péché mortel qu’il puisse commettre, de ne rien faire au mépris et malgré le dictamen de sa conscience.“ (Pierre Bayle, Sur la tolérance, 1686)
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