La Stèle – Ostal de l’Occitania
16 mars 2017 – Lors de l’exposition des photographies de Patrick Lasseube – Montségur
Texte de l’intervention initialement prévue par Olivier Cébe qui prit la parole de façon spontanée, dans la continuité des interventions du Président Me Jean-François Laffont et de Patrick Lasseube, auteur de l’exposition.
Dona, representanta dal Senher Premier Consol,
Monseigneur,
Senhers Consols é Presidents,
Donas é Senhers,
Cars Amics,
Es un gran plazer per iéou : vos parlar dins ma lenga mairala. Fa un tems que la parli pas gaire.
Pauc a pauc, la lenga de la Republica s’instala jusqu’al revès dal Sidobre…
…taplan lo granit expourtat dins tota la planeta fa rebirar la guerra entre lo francés é l’inglés per cent ans de maït…
…é l’occitan s’es bocabarrat !
Davant acun acamp, aqueste ser, es un onor de partejar amé vos autres un parladis :
– la remembrença,
– tabem lo còr doubert,
– lo silenci davant acun patrimoni que nos an passat nos païris dins un sacrifici inesfaçable…
…Tot es faït per bailar a la fount de l’arma l’aiga viva del esperit.
Aqui, siaguen totes amourous de nostra terra d’Oc : un païs dont lo trobador es lo rey…
Aqueles trobadors que nos an laissat la ley de la vida vidanta dals ancians : parage, merce, convivença.
La Ley d’Amor…
Merci plan a totes.
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Je continuerai mon propos dans la langue de notre Pays, mais je tenais à vous saluer en puisant à la source de ce qui nous rassemble ce soir dans la Ville Mondine.
D’abord, parce que ce petit monument que l’on nomme communément “La Stèle de Montségur” a été érigé en 1960 grâce à la détermination de quelques personnes très attachées à la Langue d’Oc et dont il me plaît de rappeler les liens très étroits qui les unissaient :
– au premier chef, Déodat Roché, philosophe, homme de droit et droit s’il en fut (il n’est qu’à voir ses portraits saisis par Jean Dieuzaide) ;
– Fernand Costes, fidèle, amoureux de Montségur auquel il consacra son énergie et ses passions, qui nous accueillait dans son hôtel restaurant si “Pyrénéen” de tradition hospitalière, artisan surtout qui participa à la restauration du château sous l’autorité de Stym-Popper, architecte-archéologue dont l’autorité scientifique dépassait largement nos frontières ;
– Prosper Estieu, enfin, dont Déodat Roché avait soutenu avec ferveur le projet d’élever une stèle à la mémoire des grands noms de l’Occitanie médiévale.
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Déodat Roché publiait les premiers numéros des Cahiers d’Etudes Cathares. La Société du Souvenir et des Etudes Cathares naissait dans leur sillage. Or, c’est l’Institut d’Etudes Occitanes que Déodat Roché choisit pour leur premier hébergement : son amitié et sa connivence avec Prosper Estieu lui permit de réaliser ces initiatives vouées à l’étude du Catharisme. Tous deux partageaient la même aspiration à conduire ce mouvement comme expression intime de notre terre d’Oc.
Voilà pourquoi, dans l’Ostal d’Occitania – foyer, “larèr”, de notre culture première -, j’ouvrais mon propos en prononçant quelques mots en occitan.
Une langue qui nous berça : toute de mouvement, d’onomatopées, de références à l’image, propice aux jeux de mots… Une langue refuge pour ceux qui résistaient – et peuvent résister – à la détermination de l’écrit dogmatique des dictionnaires et de la scholastique.
Une langue sensible à l’accent tonique et donc aux variations de rythme. Pour nous, aujourd’hui, une langue ancienne, qualificatif autrement plus respectueux et approprié que celui de “langue régionale” dans lequel d’aucuns voudraient la contraindre.
Une langue, enfin, expression d’un espace dont nous sommes pétris : qui s’étend des Apennins jusqu’aux Cévennes, des Rouergue et Quercy jusqu’aux Pyrénées et, au-delà, vers les Monts Cantabriques et le Bierzo. J’en témoigne pour m’y être ressourcé au cours de mes fonctions à Santiago de Compostela ou en Lombardie, usant de l’Occitan dans mes conversations, sans heurts sinon en adaptant ma prononciation… et mon oreille !
Depuis le début de notre ère chrétienne, cet « entendement » commun permettait de traduire aux populations du grand isthme de l’Europe du Sud “l’entendement du Bien” – “Lo Bén” que le roi Charles V fit inscrire sur son heaume d’apparat.
Si je m’attarde ici sur l’Occitan, c’est que le sujet de cette intervention le nécessite : l’Occitan est à l’essence de la Stèle de Montségur.
Cet espace que j’évoquais à l’instant, court depuis la Vallée du Pô jusqu’aux Fins des Terres ibériques. Les deux climats Méditerranéen et Atlantique s’y affrontent, en particulier sur les rives de la Garonne dans la Ville Rose : ils y négocient en permanence leurs suprématies concurrentes. L’Autan et le vent d’Ouest brossent nos journées, nos réflexions.
Nos certitudes s’y jouent de nos doutes. La communauté y ménage les individualités. À l’inverse d’une unicité privilégiée, la diversité se cultive…
Le vent d’Autan insuffle la pensée antique ; celui de l’Océan apporte les effluves du Grand large, issue de l’utopie du Nouveau Monde.
La géographie domine le sens des peuples et de l’Histoire. En Pays Toulousain, cette loi se nourrit de la proximité du “Caillou” (nom familier de la chaîne Pyrénéenne). Avant d’être figées dans sa fonction de “frontière” par les pouvoirs dominants du Nord, les Pyrénées offraient un foisonnement de passages entre les deux versants, aux populations, aux denrées commercées, aux courants de pensée… Nos réflexions déjà malaxées par les deux vents contraires pouvaient s’évader au-delà de la grande muraille blanche et bleutée des matins de printemps vers les immenses horizons brûlés de soleil qui inspirèrent la Reconquista de Toulouse jusqu’à Tolède.
Il n’est qu’à admirer, représentée sur le portail de la cathédrale d’Aratajona, en Navarra, la légende de saint Sernin. Le désir ardent de ses habitants à renouer aujourd’hui des liens avec Toulouse, projet que je me suis engagé à servir, paraît correspondre à une jeunesse renouvelée de ces échanges transfrontaliers.
De là ce “veilleur”, fièrement campé au Piémont des Pyrénées, gardé par la masse impressionnante du Saint-Barthélémy, la Montagne de Tabe ! Ce “veilleur” domine le couloir des vents contraires qu’est le Lauragais : je veux bien sûr parler de Montségur.
Le vieux château, très peu modifié probablement – quoiqu’on en puisse dire – depuis sa construction au début du XIIIe siècle, servit de refuge aux principaux guides des communautés cathares en cette région. Ces “bonshommes” en quête de la Porte du Ciel au sommet de “l’échelle d’or” – la Scala Cœlis des éxégètes – représentée sur la robe de la Dame dont Boèce en sa prison eut la vision. Le fondement d’un “religere” traduit par Dante en la Divine Comédie : “l’Amor che move il sole e l’altre stelle”.
À Montségur comme à Moissac, le bouvier chanté près de l’âtre en fut le guide : les mesures dues au savant Fernand Niel nous en apportent le témoignage.
Au miroir du Bouvier et du charriot qu’il conduit de la Grande Faucheuse, Montségur fut le foyer : ses flammes inscrivirent le 16 mars dans notre calendrier.
“l’Amor che move il sole e l’altre stelle”… dit Dante en son “Paradiso”, chant XXXIII, vers 145)… …en écho, Déodat Roché inscrivait sur la Stèle, au pied du Pog “Als Catars, als martirs del pur Amor Crestian”.
Cette stèle apparaît aujourd’hui comme la flamme subsistant de ce foyer spirituel, érigée à l’emplacement des braises du souvenir qui nous y rassemble encore.
Une flamme non pas destructrice : une flamme de pierre toute simple et si noble… une pierre aux dimensions modestes et pourtant si grande… un monument pour maintenir (au sens occitan des “mantenaïres”) la part vivante du doute dans les certitudes, pour préserver l’incursion de la route étroite et escarpée de la lettre “samienne” au regard équilibré de la voie droite promue comme seule évidence, pour susciter aussi l’ouverture à l’autre dans la grande fraternité humaine…
Une stèle pour rappeler que nous ne sommes plus au Moyen Âge de notre culture, que l’adolescence de notre civilisation abrupte dans ses principes et ses aveuglements appartient au passé révolu. Grâce au souvenir que rappelle cette stèle, s’est forgée une maturité où l’homme aujourd’hui est à même de réconcilier son existence avec sa destinée.
“Heureux les assoiffés d’Esprit car le royaume des cieux est à eux” martelait -lors de notre rencontre à l’abbaye Notre-Dame de l’Epau-, ce prêtre du Mans, traducteur du texte premier qui nous soit parvenu de “Mathieu V, 3”.
Les “assoiffés d’Esprit” méritent la vigilance de “mantenaïres” du souvenir et de leur enseignement du “Bien”.
Merci, cher Patrick Lasseube, pour votre généreuse invitation et vos admirables clichés photographiques.
Merci à vous tous, responsables et acteurs de l’Ostal d’Occitania, pour votre obligeance.
Olivier Cébe
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