Article d’olivier Cébe paru sur Lyon Capitale
Le 8 avril 2017
La contrebande, le commerce des denrées illicites ou non déclarées, les passeurs de messages, de pensées ou même d’âmes éperdues… Au fil de l’histoire, quelle que soit l’époque, le voyageur est manifestement complice des marges de la société. Certes, les “gens de la route” s’adaptent aux circonstances, au changement des mœurs, à l’évolution des moyens de communication, mais leurs pratiques subsistent, leur art de vivre coexiste toujours à l’intérieur de notre monde, souvent à notre insu. Par exemple ils ont, pour se déplacer, leurs propres itinéraires. C’est particulièrement sensible dans les massifs montagneux. Raison de plus pour s’y aventurer et tenter quelque rencontre surprenante.
Notre parcours : 100 km environ entre Montélimar et Die.
Les colporteurs du savoir
Il faut quitter le couloir rhodanien et ses grands axes, nos habitudes. Notre route (D540 à partir de Montélimar) va s’engager vers le seuil du premier balcon qui domine en retrait la vallée du grand fleuve : Le Poët-Laval. Une station, donc un point de départ. Car l’introduction à notre périple y trouve le sas adéquat pour s’immerger dans son thème.
Au Musée protestant installé dans un petit édifice Renaissance qui servit de temple, les vitrines arborent des ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles parvenus clandestinement depuis les pays d’Europe où le protestantisme était en vigueur – en France, Louis XIV l’avait condamné en révoquant en 1685 l’édit de Nantes. Des livres passés sous le manteau (au vrai sens du terme comme au sens figuré, universellement compris) évoquent les allées et venues incessantes de ceux qui les transportaient au péril de leur liberté. Ensuite, ces ouvrages étaient acheminés aussi dangereusement vers les Cévennes ou les pays charentais et toulousain.
Dangereusement, car ces objets – attendus avec impatience par ceux qui allaient s’y plonger des soirées entières – étaient ardemment recherchés par la gent armée chargée de les confisquer et d’arrêter leurs détenteurs, que guettaient la prison ou les galères. Des livres parfois rustiques, toujours pieusement conservés depuis, avec lesquels débute notre voyage.
C’est un peu comme si nous rencontrions la première preuve de ce qui nous motive : le colportage. Dorénavant, il nous suffit donc de remonter le fil, comme dans une enquête. En gardant en mémoire que nous allons à la rencontre de ceux qui, venus d’au-delà des crêtes, dévalent la pente. Nous allons à rebours de leur voyage. Comme les chercheurs de mystère, nous nous dirigeons vers la source en remontant le courant… Ici, celui de l’histoire.
Le colportage pour survivre
En quittant Le Poët-Laval, notre route (toujours la D540) quitte aussi les horizons dégagés. Dans une première vallée déjà étroite, Dieulefit est implanté au pied des montagnes, avec cette sagesse d’une situation retirée mais protégée des rigueurs de l’altitude : le moyen terme. Une position qui confère à la ville un rôle de poste frontière : lieu de rencontre entre la montagne et son piémont, césure entre deux manières de vivre, de circuler, d’échanger.
Ici, les routes étroites en amont de la ville se font brusquement plus confortables, … Lire la suite →
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