Territoire d’excellence pour la Fondation du Patrimoine


Et si les musées étaient des lieux de ressourcements ? À Nages, près du Laouzas, trois lieux présentent la vie dans les Montagnes du Haut-Languedoc : des repères pour aujourd’hui car ici le patrimoine n’est pas une image du passé mais souligne la continuité d’une culture rurale

En ce 13 août 2021, nous étions réunis à Payrac à l’occasion de l’inauguration de la Stèle-hommage à Paulin de Naurois, initiateur de la race des Brebis de Lacaune, réalisée par Jacques Bourges, sculpteur éminemment connu.

Stèle en hommage à Paulin de Naurois à Payrac (photographie Gazette des Monts de Lacaune)

Une stèle et, en regard, le monument dédicace. Entre les deux, une sculpture célèbre l’apparition de la brebis de Lacaune, émergeant de la pierre qu’elle épouse encore telle un nouveau-né à l’accouchement, toute entière dirigée vers la compagnie des hommes qui vont la choyer, lui offrir leur destin, l’élire enfin comme emblème de leur terre nourricière.

Un non finito selon la désignation de nos amis italiens qui vénérèrent ainsi l’élan suggéré par les sculptures inachevées. Celles-ci interpellent notre réflexion sur le monde sous-jacent à l’œuvre et la fatalité de la vie toute empreinte de matière. Michel-Ange —pour ne citer que lui— resitua ainsi aux esclaves prévus pour le tombeau de Jules II à Florence leur lien inexorable avec leur destinée.

Pour Jacques Bourges cette sagesse issue de son travail du granit est une évidence. Savourant la plénitude de son art pour avoir banni les barrières autant culturelles que théoriques attachées à la production artistique, il est baigné du savoir acquis par l’écoute et le désir des témoignages anciens. Pour le découvrir, il n’est qu’à lire son ouvrage, hommage à l’union de la pierre et du sculpteur. Un bonheur que je tiens à saluer pour la révélation qu’il nous autorise dans ses pages sur lui-même tout autant que sur son art.

Communiqué de l’association des Amis de Payrac

En ayant pris connaissance des livres de comptes journaliers de la ferme de Calmels à partir de 1847, on a pu suivre l’action précise du nouveau propriétaire, Paulin de Naurois. Après avoir porté des fromages à Roquefort, il a vu le rapport qu’on pouvait tirer de l’exploitation du lait, possible dès lors que dorénavant les moyens de transport le permettaient.

En 1855, une exposition universelle avait invité les pays étrangers à venir présenter ce qu’ils faisaient de mieux. C’est ainsi que Paulin de Naurois a pu jeter son dévolu sur le plus beau bélier de race anglaise Southdown acheté aux enchères.

Ainsi débutait par croisement avec la race locale l’aventure de ce qui a été appelé la race de brebis Lacaune. Bien entendu des améliorations sont intervenues ultérieurement grâce à l’UPRA.

Le talent de Jacques Bourges nous permet d’avoir un ensemble d’une qualité exceptionnelle inauguré le vendredi 13 août 2021. Le lieu choisi par les Amis de Payrac est devant un enclos où on voit des brebis, tout en ayant en mémoire la foire des paysans du 15 août. Les Amis de Payrac ont reçu le concours financier de la Fondation du patrimoine et du Crédit agricole.

Ainsi est ancrée sur le territoire tarnais la mémoire de l’origine de la race de brebis entrant obligatoirement dans l’AOC Roquefort.

Ont pris la parole : Alain Cabrol, maire de Nages, François Joucla, président des Amis de Payrac, l’artiste Jacques Bourges, Jessica Théron, au nom du Crédit agricole, Olivier Cébe, au nom de la Fondation du patrimoine, Monique Cabanes, au nom des éleveurs et Daniel Vidal, président de la Communauté de communes.

Le propos retenu pour mon intervention lors de l’inauguration

Mesdames, Messieurs, chers amis,
Monsieur le Maire, Monsieur le représentant de la Communauté de Communes,
cher ami Robert Pistre,

Tout d’abord, je dirai à quel point je suis touché d’être ici et convié à prendre la parole.

Mes propos au titre de la Fondation du Patrimoine ne peuvent se dissocier de ceux qui me sont plus personnels puisque l’attachement à cette terre justifie, à l’égal de chacun ici, ma présence aujourd’hui. Sans compter la saine émotion de nos rencontres et, pour ce qui me concerne, le plaisir d’y participer et donc de revenir de plus en plus souvent.

Je viens d’un pays qui vit de la pierre : Le Sidobre, à la charnière de la plaine et des Hautes Terres d’Oc. Ce granit puissant et pourtant si fragile ; tout en rondeur, rustique et presque soyeux en terre de mégalithes ; poli, froid et pourtant rassurant en attente d’éternité chez nous. Je lui dois de m’avoir incité à parcourir ce territoire et en découvrir les qualités dont, enracinée chez ses habitants, la tradition d’hospitalité.

Ouvrir le livre des anciens aux jeunes générations

Pour ouvrir mon intervention, je voudrais souligner combien le contexte à Payrac illustre l’action de la Fondation du Patrimoine. Créée il y a un quart de siècle, cette institution s’attache non seulement au patrimoine rural que sont les fours, fontaines et lavoirs, moulins, pigeonniers, mais aussi au patrimoine naturel, celui qui relève de notre environnement —que ce soient l’entretien des paysages ou bien la préservation des races anciennes—; enfin aux savoir-faire et donc à l’implication des jeunes générations. Autant dire que ces domaines de préoccupations se retrouvent ici au fondement de votre action avec, pour socle, trois priorités.

Tout d’bord, l’attention à la protection du patrimoine.

Il est une œuvre tout à fait considérable : la conception et la construction du centre de recherches et le musée attenant de Rieu Montagné. J’ai eu l’avantage, cher Robert Pistre et grâce à vous, d’en connaître la création. Puis j’ai suivi fidèlement son évolution malgré l’éloignement et j’en suis resté tout aussi admiratif aujourd’hui. Les enrichissements que sont d’une part Payrac, M. le président et cher ami François Joucla ; d’autre part Tastavy, centre d’un aussi grand intérêt, forment un ensemble abouti, exceptionnel, que j’aurais souhaité atteindre lorsque je fus en charge d’élaborer le concept des Maisons de Parcs régionaux. De même, à l’origine d’un autre musée de cette “Montagne“, ai-je toujours regretté de ne pouvoir y apporter ce domaine si complémentaire des arts et traditions populaires. Or, ici, le gant a été relevé : un patrimoine exceptionnel est présenté à l’ensemble des visiteurs de nos régions, porteur non seulement de la mémoire mais aussi de la vie intime, la nôtre, c’est à dire de l’âme de ce pays.

Le deuxième point, un mécénat très particulier

L’association Agno’Interpro agit en faveur du Patrimoine sous l’impulsion de M. Jérôme Redoulès (dont je salue ici la présence), action à laquelle j’associe dans mon esprit M. Rémi Paulin, chargé de missions à la délégation régionale de la Fondation du Patrimoine. Quelle est cette action : à chaque fois qu’un agneau est vendu par le biais d’Agno’Interpro, un euro est versé à la Fondation du Patrimoine en faveur des édifices évocateurs de l’élevage ovin dans nos terroirs d’Occitanie. La Fondation y est ainsi impliquée comme relais d’un financement original issu de la vie pastorale et donc de l’activité économique de ce pays. À cela s’ajoute la régularité de cet apport souvent déterminante puisque chaque année l’association Agno’Interpro permet à la Fondation de mener de nouvelles actions : par exemple, une jasse sur la Commune de Murat, des abreuvoirs sur la commune de Lacaze et tant d’autres restaurations sur les départements voisins de l’Aveyron, de l’Hérault et de la Lozère.

Enfin, la réhabilitation des savoir-faire

La Fondation du patrimoine se préoccupe aussi de la façon dont on travaille la matière, la terre, dont on veille à transmettre aux jeunes générations les savoirs, les gestes, les actes. Il ne suffit pas de parler du passé ; il ne suffit pas de parler du patrimoine tel que nous le connaissons ; il ne suffit pas de parler de ce qui forge notre cadre de vie, la végétation qui pousse en amour et en effusion particulière avec la géologie, les courants d’eau, l’art de l’homme à les apprivoiser. Il ne suffit pas de présenter tout cela comme un décor : car il s’agit d’un décor cultivé par les mains mêmes de la population qui l’habite.

C’est là le vrai, le seul patrimoine : le patrimoine vivant.

La pierre, du tréfonds de nos mémoires à la surface de notre existence

À l’instant, Jacques Bourges évoquait la pierre vivante… lui qui la fait vivre ! Son travail nous confronte à un savoir-faire admirable : sortie de ses mains, son œuvre suscite notre réflexion, confrontés que nous sommes à cette manière étonnante de faire surgir de la pierre un instant, dès lors devenu message. Ainsi, en cette magnifique stèle, le sculpteur a-t-il ôté de la matière… pour en faire jaillir le cœur !

Un message que je retiens pour conclure mon propos : l’art du sculpteur unit l’homme à la Nature. Son œuvre scelle ce mariage comme le laboureur le magnifie dans son travail. Autant de savoir-faire à transmettre.

En vous saluant Robert Pistre, en y associant Jacques Bourges et vous-même président Joucla, je voudrais dire à quel point je suis sensible à ce qui se passe ici. Je le dis naturellement : vous y révélez l’essence du Patrimoine. Vivant, intime, partagé. Transmis.

Ceci nous oblige. Ceci nous rend dignes. Par-là même, ceci nous rend humbles. Nous sommes simplement les mainteneurs sur cette terre d’une continuité entre les générations qui y vivent et y vivront.

Merci.

Jacques Bourges, « L’Homme de Granit, qui lui-même se fait » (à la croisée des chemins à Lacrouzette).

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